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Repenser la protection incendie: entretien avec la cheffe du projet PPI 2026
16.06.2025 La consultation technique des nouvelles prescriptions de protection incendie (PPI) 2026 commence en septembre 2025. C’est une étape clé pour l’avenir de la protection incendie en Suisse. La professeure Isabel Engels, de la Haute école spécialisée bernoise, dirige l’équipe de projet sur mandat de l’AEAI. Lors de notre entretien, elle s’est exprimée sur le passage à une approche fondée sur les risques et ses implications pratiques.
Sur quoi les PPI 2026 portent-elles?
Les prescriptions de protection incendie suisses ont été instaurées pour la première fois en 2005 à l’échelle nationale et ont été remaniées en 2015. Avec les PPI 2026, c’est désormais une révision totale. Au cœur de cette démarche, un changement de paradigme: s’éloigner du principe de maximisation de la sécurité en faveur de solutions alignées sur les risques. Les nouvelles prescriptions doivent apporter davantage de flexibilité et permettre de créer des concepts plus spécifiques, tout en continuant à assurer la protection des personnes et des bâtiments.
À l’avenir, pour planifier, vérifier ou décider, il ne faudra pas se contenter d’appliquer des normes, mais plutôt identifier les objectifs de protection à atteindre et définir des mesures ciblées. Cela implique une réflexion active sur les nouvelles prescriptions et les nouveaux processus.
Ce qui caractérise cette révision, c’est l’approche systématiquement basée sur les risques, qui est unique au monde sous cette forme. De nombreux pays appliquent des prescriptions qualitatives mais ne disposent pas de critères quantitatifs d’acceptation des risques tels que les PPI 2026 les prévoient en Suisse.
Autre axe clé, la méthode de preuve à utiliser peut désormais être choisie librement pour chaque objet: soit basée sur le risque soit prescriptive. Dans près de 95% des cas, c’est la méthode prescriptive qui continuera d’être appliquée (jusqu’ici «méthode standard» selon les PPI 2015). Les nouveaux procédés offrent toutefois des possibilités supplémentaires, en particulier pour les ouvrages et situations complexes.
L’entrée en vigueur des PPI 2026 est prévue pour 2027. Elles constituent une étape importante vers une protection incendie moderne, pragmatique et pérenne en Suisse.
Madame Engels, quelle est la nécessité d’une révision totale des PPI?
Les prescriptions actuelles datent essentiellement de 2005. Si elles ont fait leurs preuves, elles demeurent dans l’ensemble encore trop peu axées sur le risque réel. Il s’agit désormais d’utiliser de manière plus judicieuse les ressources disponibles: les mesures de sécurité doivent rester proportionnées. Cela vaut notamment pour la gestion des dangers tels que les incendies, les dangers naturels ou lorsque les ressources sont limitées.
Dans le même temps, les conditions cadres ont changé: les projets de construction gagnent en complexité, les nouvelles technologies offrent de nouvelles possibilités et les attentes de la société (par exemple en matière d’accessibilité et de construction dans les structures existantes) exigent des solutions plus flexibles et adaptées à la pratique. Les PPI 2026 tiennent compte de ces évolutions.
« J’aimerais que le changement soit perçu non pas comme une contrainte, mais comme une aubaine.»
Quelle est la principale différence par rapport à la précédente règlementation?
Les PPI se fondent depuis 2015 déjà sur une protection incendie axée sur les risques. Cette évolution se poursuivra de manière résolue dans les PPI 2026. Nous abandonnons le principe de la sécurité maximale. Les mesures prises doivent répondre à la situation effective et au danger réel. En outre, la proportionnalité entre également en jeu: il convient d’abandonner le principe du «plus = plus sûr» au profit de mesures ciblées qui se basent sur les risques. Ainsi, les fonds disponibles destinés à la réduction des risques peuvent être utilisés là où ils présentent véritablement le plus grand intérêt en matière de sécurité.
Pourquoi est-ce un avantage?
Parce que cela reflète la réalité. Le nouveau système permet de créer des concepts sur mesure qui répondent au risque réel. Notre ambition est d’atteindre le niveau de sécurité que la société est en droit d’attendre.
Est-ce que la protection incendie va devenir plus compliquée?
On me pose souvent cette question. Je réponds toujours que tout dépend du domaine de la protection incendie concerné. Au premier abord, il peut sembler simple d’avoir un petit nombre de règles rigides dans un cadre étroit. Cependant, celles-ci entrainent souvent des problèmes dans la pratique car elles ne sont pas adaptées à toutes les situations.
Je pense que la protection incendie va devenir plus nuancée. Parallèlement au savoir-faire technique, la coordination entre les planificatrices et planificateurs, les autorités et les personnes chargées d’établir les preuves gagne en importance. Cela exige de repenser l’approche actuelle mais ouvre aussi de nouveaux horizons quant à la qualité et l’efficacité.
Un exemple: lors de la réaffectation de bâtiments existants, il était souvent difficile d’aménager des voies d’évacuation conformes aux prescriptions. Le projet actuel des PPI 2026 prévoit des spécifications plus flexibles, par exemple en autorisant des voies d’évacuation plus longues. Autrement dit, les nouvelles PPI exigent un examen plus attentif, mais on y trouve aussi des solutions pragmatiques là où il n’y en avait pas auparavant.
«Le nouveau système permet de créer des concepts simples et pratiques qui répondent au risque réel.»
Portrait: prof. Isabel Engels
Isabel Engels enseigne la protection incendie à la Haute école spécialisée bernoise BFH. Ingénieure expérimentée, spécialiste de la construction bois, elle s’engage en faveur de concepts de sécurité modernes et pragmatiques dans la recherche, l’enseignement et la formation continue. Depuis 2019, elle est cheffe de projet auprès de l’équipe chargée d’élaborer les prescriptions de protection incendie suisses PPI 2026, sur mandat de l’Association des établissements cantonaux d’assurance incendie (AEAI).
À quoi sert la consultation technique de septembre 2025?
C’est le moment où les professionnel-le-s exerçant sur le terrain peuvent commenter les projets. Pour nous, ces retours sont essentiels. En effet, pour établir de bonnes prescriptions, il est souhaitable de dialoguer avec les personnes appelées à les appliquer plus tard.
Quelle est la meilleure façon de se préparer aux nouvelles prescriptions?
En se familiarisant avec l’approche fondée sur les risques et la structure des nouvelles prescriptions. Tout le monde n’a pas besoin de fournir des preuves basées sur les performances ou les risques. En revanche, toute personne impliquée dans la planification, par exemple, devrait comprendre de quoi il retourne.
Cette compréhension est utile non seulement en cas de preuves complexes mais également dans le domaine prescriptif, notamment pour élaborer des solutions économiques et spécifiques aux ouvrages et, si besoin, pour intégrer des preuves partielles complémentaires. Nous proposons pour cela des formations continues axées sur la pratique. Leur contenu s’avère d’ores et déjà profitable au quotidien, par exemple dans le cas de bâtiments existants ou de concepts de preuves exigeants.
Que souhaitez-vous pour la mise en œuvre des PPI 2026?
J’aimerais que le changement soit perçu non pas comme une contrainte mais comme une aubaine. Les nouvelles prescriptions offrent une plus grande marge de manœuvre, ainsi que la possibilité de faire appel à une expertise bien précise pour trouver de meilleures solutions. Pour cela, il faut avoir la volonté d’apprendre et de remettre en question les schémas de pensée usuels. Il est crucial de ne jamais perdre de vue le cœur du sujet: une protection efficace des personnes et des bâtiments en cas d’incendie.